DECLARATION DU SPBF 23 AVRIL 2023
Mesdames et messieurs de la presse,
Depuis un moment, le secteur du médicament connaît des turbulences dans notre pays. Les médias officiels et les réseaux sociaux en ont parlé, et récemment le dernier conseil des ministres en a fait écho. Si depuis le début, nous n’avons pas communiqué, c’est parce que nous attendions la partie gouvernementale qui s’organisait pour nous rencontrer. Force est de constater que ces échanges demeurent sans suite. Par ailleurs, la communication du ministre en charge du commerce sur la fixation des prix des médicaments de spécialité pharmaceutique, nous oblige à communiquer pour informer l’opinion publique.
Le syndicat des pharmaciens, depuis sa création en 1969, a travaillé et tra- vaille de concert avec les différentes autorités pour développer ou améliorer le secteur pharmaceutique. C’est ainsi que différentes réformes ont eu lieu et ont conduit à l’autonomisation du secteur.
Le secteur pharmaceutique est composé de deux sous-secteurs dans sa partie distribution médicamenteuse :
– Public qui comprend les dépôts répartiteurs de district (DRD), les dépôts MEG (CSPS, CM et CMA), les pharmacies hospitalières des hôpitaux publics ;
– Privé qui comprend les industries, les grossistes, les officines, les pharmacies hospitalières des structures sanitaires privées, les agences de promotion.
Le secteur couvre l’ensemble du territoire et assure l’accessibilité aux pro- duits de santé. Le médicament constitue la pierre angulaire du système national de santé. Il est donc peu de dire que si le secteur connait des troubles pour une raison ou une autre, c’est l’ensemble du secteur de la santé qui en souffrirait et donc tous les burkinabè.
Le médicament est un monopole de droit pharmaceutique du fait de sa spécificité. Les médicaments peuvent être classés en deux grands groupes qui sont les médicaments dits de spécialité et les médicaments génériques. Ils peuvent tous, en fonction de la politique sanitaire, être essentiels ou non. En plus des différences techniques et règlementaires, il existe une différence fondamentale de prix. A noter que si les prix du générique restent globalement stables, celui de la spécialité tend à diminuer avec le temps.
C’est sous la révolution du CNR que l’autorité s’est penchée sur l’harmonisation des prix des médicaments de concert avec le syndicat des pharmaciens. En 1986, le Raabo 198/CAPRO/SAN a été signé et réglementait les prix en fixant la marge bénéficiaire brute à un taux de 1,53120 qui devait s’appliquer sur le prix de revient licite (PRL). Cet arrêté a été abrogé en 1994 par un arrêté conjoint des ministres de la santé et du commerce consacrant ainsi la libéralisation des prix des médicaments de spécialité qui tombaient sous le coup de la loi 15/94/ADP portant organisation de la concurrence au Burkina Faso remplacée par la loi 016-2017/AN toujours en vigueur.
Avec la dévaluation et la déontologie qui régit la profession, face à nos populations déjà éprouvées et les spéculations sur le prix du médicament, le syndicat des pharmaciens avait suggéré aux pharmaciens de revenir à une marge brute de 1,32 au lieu de la marge bénéficiaire brute de 1,53120. Cette décision n’a jamais fait l’objet d’une quelconque contestation et a même fini par être utilisée par l’administration publique.
D’autres mesures toutes aussi salutaires que la précédente ont été appliquées et ont également eu un impact sur la viabilité de nos entreprises :
– la convention collective du secteur pharmaceutique privé : augmentation de la masse salariale et assurance d’une couverture sociale aux travailleurs ;
– l’amélioration de la couverture officinale du pays surtout dans les zones urbaines pour rendre le médicament plus proche des populations ;
– la dernière modification des heures d’ouverture en 2014 à la demande de l’autorité, de 8h00 à 20H en continue à Ouagadougou. Cette mesure a contraint, en respect des dispositions du code du travail, les pharmaciens d’officine à renforcer leur personnel afin de pouvoir tenir leur mission.
De plus un certain nombre d’éléments externes concourent à l’augmentation des charges de nos entreprises :
– le crédit fournisseur et ou bancaire à l’installation pouvant aller à plus de 50 millions de nos francs ;
– les loyers taillés à la tête du client pouvant passer de 150 000 à 500 000 voire plus de 1 000 000 de FCFA lorsqu’il s’agit de l’installation d’une pharmacie. A noter que ces loyers sont susceptibles d’augmenter en fonction des désidératas du bailleur et de façon régulière ;
– sur le plan fiscal : ce sont des entreprises qui sont soumises au droit fiscal commun ;
– l’augmentation générale des charges de fonctionnement ;
– l’assurance du maintien de la chaine de froid pour les médicaments thermosensibles. D’où la nécessité d’un réfrigérateur médical qui doit rester fonctionnel 24H/24, d’un groupe électrogène et/ou d’un système solaire, avec un coût d’entretien régulier ;
– l’imposition d’une marge incompréhensible de 32% sur les MEG CAMEG et consommables qui consacre une vente à perte dans les pharmacies. Le même arrêté consacre une marge de 37,5% dans le public ;
– l’insécurité (cambriolage, braquage) qui oblige les pharmaciens à mettre des sommes importantes pour assurer la protection de leurs locaux ;
– l’inflation généralisée de 14,5% en 2022 ;
– etc.
NB : les pharmacies ne bénéficient d’aucun soutien de l’Etat. Pas de subvention, pas d’allègement fiscaux, pas de fiscalité spécifique, pas d’aide à l’installation.
Malgré le fort rôle de santé publique, l’officine reste une entreprise et doit générer des ressources afin de supporter ses charges, s’approvisionner en produits de qualité et assurer sa mission de santé publique (disponibilité des produits, qualité du service). Une officine, incapable de faire face à ses charges et se réapprovisionner meurt et laisse un espace vide. Les premières études sur la viabilité des officines ont conclu très tôt que toutes les officines du centre-ville vont finir par fermer par faute de ressources. Certaines sont fermées et d’autres, non des moindres ont été transférées.
Le syndicat, soucieux du devenir du secteur pharmaceutique et de la continuité de la couverture officinale a entrepris des démarches auprès de son ministère de tutelle, le ministère de la santé par correspondances et par transmission de mémorandum afin qu’ensemble, nous puissions revoir la fixation de la marge sur les produits dans nos officines. Les démarches récentes du syndicat ont débuté en 2016 et l’actuel Ministre en charge de la santé était secrétaire général puis conseiller technique ; donc la situation ne lui est pas étrangère. Lors de nos discussions il a toujours été question de fixation de la marge et nous avions proposé des marges au ministère de la santé. A chaque fois, les autorités usaient de dilatoire en nous miroitant des éventuels allègements fiscaux.
Cependant sa déclaration du 10 Avril dernier, sur les ondes de la RTB nous a fortement surpris, alors que nous venions de fixer ensemble une date d’échanges à ce sujet dans la matinée. Au cours de la rencontre du 11 avril 2023 avec l’équipe gouvernementale, face aux preuves présentées par le syndicat, les différentes parties ont semblé se comprendre.
Les ministres en charge du commerce et de la santé se sont engagés à ne pas agir de la même façon que les gouvernements passés. Ils promettaient alors de trouver des solutions durables pour le bien de la population et des officines.
Nous avons sur la base de cette confiance, et au regard des engagements pris par la partie gouvernementale (cf communiqué conjoint) levé le mot d’ordre de suspension des commandes et vente des produits CAMEG. Mot d’ordre qui du reste était adressé à un public averti, les pharmaciens, et en rapport avec les arrêtés portant fixation des prix des médicaments essentiels génériques et des consommables médicaux. Il faut le dire, le médicament générique est distribué par les autres grossistes pharmaceutiques privés dont certains sont des fournisseurs de la CAMEG.
Le secteur privé pharmaceutique assure la continuité de la distribution du générique et couvre toute la défaillance du secteur public. Combien de fois nous sortons des centres publics avec des ordonnances pour trouver une pharmacie de garde afin d’obtenir un ou plusieurs produits hospitaliers pour lever une urgence vitale. Tout ceci augmente la pression sur le pharmacien qui ne doit pas avoir de rupture face à une sollicitation d’urgence. Nous subissons régulièrement des ruptures de paracétamol injectable, de solutés pour perfusion, des perfuseurs, des cathéters,… plus dramatique de l’adrénaline. Ceci est inadmissible que ces produits soient en rupture régulière dans les formations sanitaires publiques. Nos collègues du public restent le plus souvent impuissants face à une situation désespérée de manque de fonds pour s’approvisionner ou pire une rupture au niveau de la CAMEG qui au passage a un monopole de fait sur l’approvisionnement en médicaments et consommables de nos formations sanitaires publiques.
Une seconde rencontre a eu lieu le 18 Avril, rencontre au cours de laquelle, nous avons confirmé la levée du mot d’ordre sur l’achat et la vente des MEG CAMEG et notre volonté et disponibilité à discuter sur les prix des spécialités. Une commission technique devait être mise en place pour discuter de tous les points afin d’améliorer l’apport du secteur pharmaceutique sur le système de santé au Burkina Faso.
Le rapport du conseil des Ministres du 17 Mai 2023 et l’intervention du Ministre en charge du commerce, suscite des interrogations quant à la volonté du gouvernement de dialoguer. Le ministre dit par ailleurs qu’on assiste à une flambée généralisée des prix des spécialités en Février. Nous tenons a rappelé que malgré les difficultés que vit notre pays pour approvisionner certaines zones difficiles d’accès aujourd’hui, le prix du médicament reste approximativement le même à Dori, Djibo, Sebba, Solenzo, Nouna, Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Garango, Réo, … Nous saluons au passage, le sens du devoir de nos chers confrères pharmaciens des zones à fort défit sécuritaire. Malgré les difficultés d’approvisionnement, les pertes de leurs pro- duits au cours des attaques de convois, ils continuent de se battre pour assurer leur mission de santé publique et ne répercutent pas leurs charges supplémentaires sur le prix du médicament.
Le secteur pharmaceutique ne pratique pas de spéculation sur les prix des produits de santé.
Le secteur pharmaceutique privé emploi plusieurs milliers de personnes (officines, grossiste répartiteur, industries, distributeurs de matériels et équipements, les agences de promotion etc). A cela il faut ajouter la part con- tributive du secteur dans l’assiette fiscale.
Ce qu’il faut retenir :
– le SPBF est une vielle institution de plus de 50 ans qui a contribué au développement du système de santé de notre pays ;
– le médicament est un produit spécifique sur lequel le pharmacien du Burkina Faso ou d’ailleurs n’a jamais obéit à une logique spéculative ;
– les contraintes internationales et internes sur l’économie générale ont créé une inflation des coûts qui se sont répercutés sur le prix du médicament ;
– à la demande de l’autorité, nous nous sommes rencontrés et espérions la poursuite du dialogue pour aboutir à un compromis acceptable pour tous ;
– la dernière sortie du ministre en charge du commerce a semé le trouble non seulement en notre sein mais aussi au sein des populations ;
Au regard de tout ce qui précède, nous voulons rassurer :
– les confrères de notre ferme détermination à défendre les intérêts de la profession pour l’accomplissement de leur rôle d’acteur de santé publique ;
– aux populations, qu’elles soient assurées de notre dévouement permanant à les conseillers et à les servir malgré les conditions difficiles que nous vivons ;
– aux autorités, nous avons affirmé mainte fois notre volonté de discuter avec elles pour parvenir à des solutions qui ne mettent pas en difficulté le secteur pharmaceutique. Nous espérons que la main tendue en privé et cette fois ci publiquement sera bien reçu.
La seule voix pour la sérénité est de rester sur les termes du communiqué
conjoint signé le 11 avril 2023.
Nous mettons en garde les ministres en charge du commerce et de la santé contre toute décision hasardeuse qui déstructurerait le secteur pharmaceutique privé tout comme les décisions hasardeuses sur la CAMEG en 2016 ont conduit à une déstructuration du secteur public qui souffre aujourd’hui de multiples ruptures. La rupture du circuit d’approvisionnement entrainera inéluctablement une catastrophe sanitaire dont les pharmaciens ne seront pas tenus pour responsables. Il est temps que chacun assume les conséquences de ses actes.
Le Burkina vit des périodes difficiles en ce moment et il n’y a aucun intérêt à créer d’autres crises là où les acteurs sont ouverts à la discussion.
Vive le syndicat
Vive le secteur pharmaceutique Vive le Burkina Faso
Dr BIDIGA Ismael Kiswindsida
Président du syndicat des
pharmaciens du Burkina Faso